Le vingt-et-unième congrès international sur la lèpre s’est tenu du 9 au 11 novembre 2022 dans la ville indienne d’Hyderabad. Environ un millier de participants y ont été physiquement accueillis, sans compter presque 500 inscriptions supplémentaires virtuelles. Le nombre de 960 présentations, en incluant les posters, a été atteint.


Et si le dépistage d’une « lèpre latente » était LA solution ?…
A côté d’une valeur de confirmation de cas douteux suspects de lèpre, une double positivité [qPCR sur lobe d’oreilles + sérologie anti-PGL1 IgM] chez un contact familial par ailleurs asymptomatique, définissant une « lèpre latente », pourrait être un facteur important de dissémination de la maladie, ainsi que de risque de développement ultérieur d’une authentique maladie.
Cette catégorie de population représente donc sans doute une cible de choix, non seulement pour un dépistage d’une « lèpre maladie » ultérieure, chez des patients qui devraient être activement surveillés, mais aussi peut-être pour l’administration ciblée d’une prophylaxie, de façon à interrompre précocement la chaine de transmission.
Cette étude remarquable, menée au Brésil et en fait déjà publiée en 2021 dans PLOSone, pourrait avoir un impact déterminant sur les politiques futures de dépistage de la lèpre.
- #0288/ILCABS707. Da Costa PF et al. Da Silva MB et al.
- https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8118453/pdf/pone.0251631.pdf

Réactions
Les réactions lépreuses sont un domaine où l’attente vis-à-vis de progrès dans la prise en charge est très forte. Si rien ou peu s’en faut n’a concerné durant ce congrès les réactions de type 1, plusieurs communications ont enrichi le sujet des réactions de type 2 (encore volontiers référencées sous le terme « érythème noueux lépreux ») (ENL).
- #F-52. Palit A. Management of steroid dependent ENL
Rappelons l’alerte comme quoi les patients présentant un ENL chronique sembleraient plus souvent résistants aux antibiotiques anti-hanséniens usuels.
Inhibiteurs de la phosphodiestérase-4
Les progrès les plus importants concernent sans doute l’espoir suscité dans le traitement de l’ENL par différents inhibiteurs de la phosphodiestérase-4, à savoir l’aprémilast (médicament déjà indiqué dans certains cas de psoriasis et de maladie de Behçet), et un nouveau composé le CC-11050.
Aprémilast. Un effet rapide (en 10 jours) permettant un sevrage complet en autres composés anti-inflammatoires, avec maintien prolongé, a été observé chez 5 patients présentant des ENL récidivants.
CC-11050. Il s’agit d’un dérivé non tératogène de la thalidomide. Lors d’un essai pilote au Népal chez 10 patients présentant des ENL aigus ou récidivants, un effet rapide (en moins de 10 jours), avec rémission constante à 28 jours de traitement, a été constaté en tant que seul composé utilisé. Biologiquement, une baisse de certains marqueurs de l’inflammation était corrélée à l’amélioration clinique (IL6, IL2Ra, TNFR1, CRP). De faibles doses de corticoïdes à distance chez la moitié des patients ont été nécessaires pour traiter des récurrences modérées. Les effets secondaires étaient minimes.
- #0342/ILCABS446. Krishna J et al.
- #0164/ILCAB752. Shah M et al.
- #0344/ILCABS 489. Simmons JD et al.
Clofazimine
Composé pour lequel se dégage un consensus concernant un intérêt, certes modéré mais confirmé, en termes d’épargne corticoïdes en cas d’ENL chronique/récidivant (aux fortes posologies telles qu’usuellement recommandées par l’OMS : 300 mg/j pendant 1 mois, 200 mg/j pendant 3 mois, puis 100 mg/j), par contre aucun effet préventif n’est admis.
- #F56. Balagon MF
- #0562/ILCABS143. Pai VV et al.
Anti-TNF
Des données ponctuelles existent pour certains d’entre eux (adalimumab, infliximab, etarnecept). Rappelons le faible nombre de cas étudiés avec ces composés, un effet semblant de rapidité variable (de quelques heures à 6 semaines…), l’effet sur le long terme finalement modéré en termes d’épargne d’autres composés notamment de corticoïdes, leurs effets secondaires potentiels, et que, par ailleurs, un traitement par anti-TNF est susceptible de démasquer une lèpre chez des patients traités pour un autre motif médical.
- #0352/ILCABS663. Jangid NC et al
- #0341/ILCABS320. Abbas F
- #0805/ILCABS389. Mandal S
Divers
Le méthotrexate, sur lequel de grands espoirs ont été fondés, semble disposé d’un effet d’épargne corticoïde notable lors des réactions de type 2 mais aussi de type 1. Lors d’une étude présentée, 62% des patients ont pu bénéficier d’un effet d’épargne corticoïde pouvant aller jusqu’à un sevrage complet. Cependant, un traitement prolongé (de durée indéterminée) semble souhaitable, une rechute survenant après arrêt de ce traitement dans 42% des cas. A noter que l’étude ambitieuse annoncée lors du précédent congrès mondial par l’équipe londonienne, visant à étudier méthodiquement l’intérêt du méthotrexate lors de l’ENL, n’a pu être menée pour l’instant du fait de la pandémie COVID.
La ciclosporine. Possible intérêt en traitement d’attaque plus qu’en épargne corticoïde évalué dans une dizaine de cas d’ENL récurrents.
Le/la thalidomide reste bien entendu un traitement remarquablement efficace, même si de nouvelles interrogations existent quant à la neurotoxicité de ce composé chez des patients ayant des nerfs déjà affectés s’additionnant aux risques tératogène et thrombotiques déjà bien connus.
La colchicine, composé peu coûteux et généralement bien toléré, de plus facilement accessible, pourrait avoir un intérêt dans certains cas. Son intérêt résiderait dans son pouvoir d’inhibition du chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles, cellules ayant un rôle important dans la physiopathologie de l’ENL.
- #0775/ILCAB775. Sachdeva S et al.
- #0803/ILCABS55-S56. Jaume L et al.
- #0775/ILCAB775. Sachdeva S et al.

Le phénomène de Lucio, une complication rare et qui reste assez mystérieuse…
Une mise au point éclairante sur le phénomène de Lucio et ses relations avec les réactions de type 2 (ENL) a été présentée. Les cas de phénomène de Lucio ont été décrits presque exclusivement avec la souche M. lepromatosis, qui ne semble relativement fréquente qu’au Mexique – quoique quelques cas aient été occasionnellement observés ailleurs (en Asie notamment).
Le tableau de nécroses cutanées extensives, classiquement de forme triangulaire, et/ou distales, avec fréquentes amputations secondaires d’extrémités, est caractéristique, et se distingue assez nettement de celui de l’érythème noueux nécrotique (qui peut toutefois être présent chez les mêmes patients). L’histologie est utile, montrant des thromboses vasculaires « froides », sans les polynucléaires neutrophiles qui représentent les meilleurs marqueurs histologique de l’ENL. La présence d’anticorps de la série antiphospholipides ou d’une cryoglobuline a également été rapportée.

Outre les corticoïdes à forte dose, l’adjonction d’une anticoagulation semble logique. A noter l’effet favorable du tofacitinib oral (inhibiteur des lymphocytes Th17) dans un cas de phénomène de Lucio associé à ENL chez un patient indien présentant une infection double M. leprae/M. lepromatosis.
- Ochoa MT. F-29. Lucio leprosy and immune reactions.
- Patel K et al. ILCABS561
Résistance de M. leprae aux antibiotiques : le point de la situation en 2022
Des données issues de diverses zones géographiques, notamment des deux plus grands foyers mondiaux actuels de la maladie (Inde et Brésil), attestent de l’expansion lente mais continue de souches de M. leprae résistantes à un ou plusieurs antibiotiques utilisés dans la lèpre. Des cas rares mais préoccupants de résistance à plusieurs de ces composés (rifampicine, dapsone, ofloxacine) ont été signalés. Les cas de résistance primaire, y compris à la rifampicine, continuent d’émerger.
Un point remarquable est la fréquence apparemment anormalement élevée de cas de résistance bactérienne chez les patients présentant cliniquement des réactions. La survenue d’un épisode réactionnel doit donc inciter à effectuer une étude de la sensibilité de la souche bactérienne impliquée – si bien sûr cette démarche n’avait pas été entreprise auparavant.
Outre la difficulté de prise en charge de ces patients multirésistants et/ou résistants à la rifampicine, il est recommandé d’adopter une vigilance accrue concernant les contacts de ces patients, en effet à risque de développer une lèpre avec résistance(s) primaire(s), en recourant dans cette situation à des techniques de contact tracing.
Ceci incite bien entendu à développer l’analyse large et si possible systématique du profil de résistance de toute souche de M. leprae identifiée (rappelons que, en l’état actuel des connaissances, ceci ne peut être effectué que chez des patients multibacillaires), ainsi qu’au développement de nouveaux antibiotiques efficaces dans cette maladie.
- Segupta U. #F-32. Présent evidence of AMR in leprosy
- Muddebiyal AA et al. #0430/ILCABS361. A case control study of resistance in type 1 and 2 reactions.
- Darlong J et al. #0170/ILCABS857. Study of drug resistance in M. lepare isolates from reactional leprosy patients.
- Singh I et al. #0761/ILCABS260. Transmission of resistant strain of M. leprae in the contact of leprosy cases : a report.

L’échographie des nerfs, une technique d’intérêt confirmé
Cette thématique réapparaît lors de chaque congrès mondial, mais s’affirme, s’affine, et confirme qu’elle est d’importance. Des techniciens entraînés utilisent ainsi couramment la technique d’échographie-doppler à haute résolution (HRUS), et ce avec différents objectifs : d’ordre diagnostique tout d’abord, par évaluation objective de l’augmentation de volume d’un nerf (dont on rappelle la grande valeur diagnostique), ainsi que de son irrégularité qui peut n’être en effet que focale (focality), au mieux comparativement (un côté avec l’autre) ; lors des réactions, où l’inflammation est au mieux évaluée par effet Doppler et s’avère susceptible de guider la prise en charge médicale (dont on rappelle qu’elle est délicate en termes de durée de traitement notamment) ; voire de dépistage, lors de campagnes en population générale plus ou moins ciblée (contacts de cas avérés). Rappelons le coût somme toute modique d’un appareil échographe/Doppler, dont chaque centre de référence pourrait (devrait ?) envisager l’acquisition, si ce n’est déjà fait.
- Jain S et al. #F47. HRUS of peripheral nerves in leprosy.
- Voltan G et al. #0153/ ILCABS637. Point of care ultrasound of peripheral nerves in the diagnosis of Hansen’s disease neuropathy.
- Voltan G #0426/ ILCABS702. Peripheral neuropathy among contacts of Hansen’s disease patients contacts detected by HRUS of the peripheral nerves.

Une initiative pour un essai comparant un traitement par ROM mensuel à la PCT standard de la lèpre
Diana Lockwood (Londres), s’appuyant sur une analyse des effets secondaires parfois sévères occasionnellement rencontrés avec les composants classiques de la PCT anti-lèpre (notamment réactions d’hypersensibilité sévères à la dapsone, ou encore moins grave mais parfois affichante pigmentation cutanée à la clofazimine), a effectué un plaidoyer pour la menée d’une étude comparant à la PCT classique une association un petit peu ancienne, mais insuffisamment documentée, consistant en la prise mensuelle pendant un an d’une dose de chacun des 3 composés suivants : rifampicine, ofloxacine, et minocycline.
Si l’on peut aisément admettre que la dapsone est un composé problématique à plusieurs égards (outre les effets secondaires graves cités auxquels on peut rajouter la fréquence d’une anémie, composé doté par ailleurs d’une activité seulement bactériostatique et fréquence croissante des résistances primaires ou secondaires), le principal effet secondaire de la clofazimine est une pigmentation transitoire (visible durant le traitement) qui ne justifie sans doute pas une « mise au ban » aussi radicale. Le coût estimé par D. Lockwood d’une telle étude montre également certaines limites de cette initiative (1,5 million US$). Rappelons en outre que l’OMS valide d’ores et déjà (depuis 1997) le traitement par ROM mensuel (pendant 24 mois) chez les patients refusant la clofazimine, en alternative à une autre option que serait le remplacement de la clofazimine par une prise quotidienne d’ofloxacine ou de minocycline dans le schéma de PCT usuel.
- Lockwood Diana. Need for new MDT for leprosy: why and how ? Plenary session (09/11/2022)

Retentissement de la pandémie COVID-19 sur l’identification de nouveaux cas de lèpre
La pandémie COVID-19 a fortement perturbé l’identification et le recensement des nouveaux cas de lèpre de par le monde, avec une chute brutale du nombre de nouveaux cas mondiaux passé de 202.185 en 2019 à 127.396 en 2020 et cependant un sursaut en 2021 avec 140.594 nouveaux cas identifiés.
Un élément supplémentaire de préoccupation est le caractère « genré » de ce déficit, avec une proportion féminine de nouveaux cas en 2020 de seulement 39% (alors qu’on s’attendrait à une égalité avec le nombre de cas identifiés chez des sujets de sexe masculin). D’autres déficits spécifiques analogues ont d’ailleurs été à déplorer chez les enfants, ainsi que pour ce qui est de l’identification de cas multibacillaires.
Un rattrapage partiel de ces déficits s’est heureusement effectué spontanément en 2021. Un programme spécifiquement dédié à la problématique du déficit de diagnostic chez les femmes a été mis en œuvre au Bangladesh, permettant de rattraper plus complètement cette inégalité de genre.
- Plenary session (09/11/2022) : WHO representative.
- Pender JS et al. ILCAB S60. The missing thousands. Bridging the gender gap in leprosy case detection

Lèpre zoonotique et animaux hébergeurs
Une présentation passionnante du Dr JS Spencer (Colorado) a répertorié les situations de mise en évidence de M. leprae chez des animaux, avec ou sans transmission humaine avérée.
Le tatou à 9 bandes est désormais un hôte bien connu. Des cas avérés de transmission de M. leprae du tatou à l’homme ont été établis dans les états du Sud des Etats-Unis (Louisiane). Alors qu’environ un tiers des tatous nord-américains sont infectés par M. leprae, presque 100% des tatous à 6 bandes le sont dans le Nord-Est du Brésil, pays où cet animal est par ailleurs régulièrement consommé en tant que gibier dans certaines zones rurales, avec dans cette situation présence d’un taux élevé d’anticorps anti-M. leprae chez les individus en consommant plusieurs fois par semaine.
D’autres animaux apparaissent comme des hébergeurs fortuits : écureuil roux de certaines îles britanniques, chimpanzés de Côte d’Ivoire ou de Guinée Bissau, ces deux espèces infectées par des souches anciennes « moyenâgeuses » de M. leprae, peut-être via (uniquement en ce qui concerne les chimpanzés) un autre hôte intermédiaire.
Enfin, l’identification récente de M. leprae au sein d’amibes, dans lesquelles le germe peut persister plusieurs mois, seraient susceptibles de servir de support à un réservoir « tellurique » du germe, à rapprocher de la mise en évidence d’ADN de M. leprae dans le sol de l’environnement de maisons de patients malades de la lèpre (forme lépromateuse) au Bangladesh, de terriers de tatous au Surinam et de l’environnement d’écureuils roux des îles britanniques.

- #0065/ILCABS 699. Spencer JSS. News hosts and new places in the environment for M. leprae : implications for new source of infection.
- Voir aussi pour mémoire :Wheat WH et al. Long-term survival and virulence of Mycobacterium leprae in amoebal cysts. PLoS Negl Trop Dis 2014 DOI: 10.1371/journal.pntd.0003405