Implications du Coronavirus disease 2019 (COVID-19) sur la prise en charge de la lèpre

Il ne faudrait pas que la redoutable pandémie au coronavirus SARS-CoV-2, responsable du tableau parfois gravissime désigné sous le nom de coronavirus disease 2019 (COVID-19), compromette significativement les efforts de lutte contre la lèpre. Cependant, des efforts d’adaptation des pratiques s’avèrent nécessaires.

Aussi, le Dr Christian Johnson, Président de l’association des léprologues de langue française (ALLF), souhaite-t-il diffuser un message émis par l’OMS, ILEP et Global partnership for Zero leprosy, ainsi qu’un autre issu de la Société brésilienne de lutte contre la maladie de Hansen.

La Rédaction

COVID-19 et lèpre : les recommandations de l’OMS, ILEP et Global partnership for Zero Leprosy

Conseils sur la lèpre et le COVID-19

Observations générales
➢  Les principales mesures préventives sont le lavage des mains à l’eau et au savon et l’éloignement social

➢  Il est important de suivre les conseils du gouvernement de votre pays concernant les voyages, le travail et les réunions sociales

➢  Toute personne présentant des symptômes respiratoires doit rester à la maison et téléphoner pour des conseils de santé

➢  Actuellement, rien n’indique une interaction spécifique entre la lèpre et COVID-19. 

Diagnostic et prise en charge clinique des malades de la lèpre
➢  L’OMS recommande que les programmes communautaires et les activités de dépistage soient reportées jusqu’à nouvel ordre; cela comprend le traçage des contacts et la chimioprophylaxie.

➢  Les soins dispensés aux patients dans les centres de santé, y compris le diagnostic et la prise en charge des cas, doivent continuer, en accordant une attention particulière au lavage des mains et à l’utilisation de masques faciaux, par le personnel de santé et les patients.  Les médicaments de poly-chimiothérapie (PCT) peuvent être fournis pour 2 ou 3 mois, afin de réduire la fréquentation du centre de santé.

➢  Les interventions non urgentes telles que la chirurgie reconstructive peuvent être reportées.

➢  L’évaluation de la fonction nerveuse doit continuer tous les trois mois pour les patients sous PCT, afin de réduire le risque de handicap futur. Le traitement des réactions doit également se poursuivre. 

➢  Des stéroïdes (prednisolone) doivent être administrés aux personnes affectées par la lèpre lorsqu’il existe une indication pour traiter la névrite. Les stéroïdes sont des médicaments immunosuppresseurs et peuvent donc augmenter la sensibilité au COVID-19, en particulier lors de leur utilisation pendant plusieurs années pour des maladies chroniques, telles que la polyarthrite rhumatoïde. Cet effet est lié à la dose et à la durée des stéroïdes administrés, de sorte que le cours typique de 20 semaines de prednisolone administré dans la lèpre est considéré d’avoir un risque minimal. Toute personne souffrant de toux devrait normalement être examinée pour la tuberculose avant de commencer les stéroïdes, donc, de même, le traitement aux stéroïdes peut être retardé de 2-3 semaines chez toute personne présentant des symptômes suggérant COVID-19. Quelques patients avec un ENL ont besoin de stéroïdes pendant une période plus longue; dans ces cas difficiles, les bénéfices des stéroïdes l’emportent généralement sur la faible augmentation du risque d’acquérir COVID-19.

➢  Si possible, il faut contacter les patients sous corticothérapie par téléphone ou via les réseaux sociaux pour s’assurer qu’ils prennent toutes les précautions possibles contre COVID-19.

Aspects de la lèpre liés à la santé publique lors de la pandémie de COVID-19
En cas d’épidémie ou pandémie, les pauvres, y compris les personnes atteintes de la lèpre, sont généralement affectées de manière disproportionnée. Les mesures qui aident à contrôler une pandémie, telles que la restriction des déplacements et la fermeture des lieux de travail, ont généralement un impact grave sur les groupes vulnérables. Elles peuvent également provoquer des troubles sociaux et entraîner une perte de revenus pour les individus et les familles.

➢  Une attention particulière devrait être accordée aux personnes vulnérables dans la communication sur les mesures recommandées par le gouvernement pour atténuer le risque de COVID-19. Un effort doit être fait pour atteindre les personnes touchées par la lèpre en utilisant plusieurs canaux médiatiques tels que téléphone portable, radio, brochures et affiches. 

➢  Il est important d’assurer la disponibilité de l’eau potable, surtout dans cette période, pour garantir la mise en œuvre des mesures préventives appropriées pour les malades et leurs proches. L’accès au service de santé doit être garanti de manière équitable à tous les patients dans la mesure du possible.

➢  Il est essentiel que les stocks de PCT soient correctement gérés, que la distribution des médicaments PCT se poursuive et que les commandes de PCT passées à temps. 

➢  Il faut éviter toutes les consultations et admissions non urgentes dans les établissements qui accueillent et admettent les patients COVID-19 afin de minimiser le risque pour les personnes affectées par la lèpre de devenir infectées. Des soins à domicile ou en milieu communautaire seraient alors préférés.

Services aux personnes en situation de handicap et / ou confrontées aux conséquences psychosociales de la lèpre
Les personnes touchées par la lèpre, en particulier celles souffrant de handicaps liés à la lèpre, peuvent être stigmatisées, conduisant à l’exclusion sociale et au mauvais bien-être mental. L’exclusion sociale aggrave souvent la pauvreté, les inégalités sociales et autres vulnérabilités existantes. Une proportion substantielle de personnes touchées souffrent de problèmes de santé mentale courants, tels que la dépression et l’anxiété. Lorsque de tels services sont disponibles, les personnes touchées peuvent être aidées par des services de réadaptation socio-économique, des groupes d’auto-assistance ou d’auto-soins, des conseils par les pairs et des services de santé mentale communautaires. Il s’agit souvent de réunions en groupe et / ou de contacts étroits et en face à face avec des pairs ou des soignants.

Les principales mesures de contrôle de COVID-19 comme l’éloignement social, l’auto-isolement et l’interdiction de se réunir en groupe interfèrent directement avec les services et interventions cidessus énumérées. Cette situation peut affecter directement les moyens de subsistance des personnes touchées, leur capacité à mener de façon efficace des activités de prévention des incapacités de même que les activités visant à renforcer leur résilience et à surmonter les problèmes de santé mentale. Elles peuvent également augmenter l’exclusion sociale et la solitude, tandis que la peur d’une infection au COVID-19 peut aggraver l’anxiété et la dépression.

Interventions recommandées pour atténuer les problèmes ci-dessus:

➢  Sensibiliser les agents de santé, les services sociaux et les autorités publiques aux problèmes psychosociaux auxquels les personnes touchées par la lèpre peuvent être confrontées et aux façons dont les mesures de contrôle COVID-19 peuvent aggraver ces problèmes.

➢  Faire un plaidoyer auprès des autorités pour permettre au personnel de santé et des services sociaux sélectionnés, y compris des pairs conseillers, de rendre visite aux personnes ayant des problèmes connus en raison de handicaps, de stigmatisation, d’anxiété ou de dépression.

➢  Essayez d’assurer qu’une ligne d’assistance téléphonique soit disponible pour que les personnes concernées puissent appeler lorsqu’elles rencontrent des problèmes ou simplement pour parler et / ou fournir des informations essentielles sur COVID-19 et les moyens de se protéger contre l’infection. Plusieurs pays ont déjà une ligne d’assistance téléphonique pour le COVID-19. Lorsque ce service existe, le personnel du centre d’appels doit être informé des besoins des personnes vulnérables, y compris les malades de la lèpre. Lorsqu’il existe des services d’assistance téléphonique spécifiques pour les personnes affectées par la lèpre, ceux qui répondent aux appels doivent savoir quels conseils donner concernant le COVID-19.

➢  Communiquez avec les personnes ayant des problèmes connus par téléphone ou SMS pour les informer qu’on se soucie de leur situation et pour leur fournir des informations essentielles sur le COVID-19 et les moyens de se protéger contre l’infection.

➢  Mettre en place une plateforme de réseaux sociaux, par ex. un groupe Facebook ou WhatsApp où les gens peuvent trouver des informations sur la lèpre et le COVID-19 et où ils peuvent se contacter ou se soutenir. Ces groupes peuvent également être utilisés pour fournir des informations essentielles sur la façon de se protéger soi-même de l’infection.

➢  Les organisations gouvernementales et non gouvernementales devraient faciliter l’accès aux droits sociaux, y compris les pensions ou la fourniture de produits alimentaires de base, aux personnes en situation de handicaps dû à la lèpre et à d’autres groupes vulnérables, tels que les personnes âgées.

Covid-19 et lèpre : les recommandations de société brésilienne de la maladie de Hansen

 Bonjour à tous,

En cette période d’épidémie COVID-19, nous devons nous assurer de la continuité des services lèpres dans les programmes nationaux. Nous vous transmettons les lignes directrices de la société brésilienne de la maladie de Hansen que chaque programme national pourra adapter à son contexte.

Dr Roch Christian JOHNSON (Président de l’ALLF)

LIGNES DIRECTRICES À L’INTENTION DES MÉDECINS DE LA SOCIÉTÉ BRÉSILIENNE DE LA MALADIE DE HANSEN (SBH) SUR LA POSSIBILITÉ DE CO-INFECTION LEPRE ET COVID-19

 • Considérant l’urgence qui s’est installée en raison de la pandémie COVID-19

• Considérant les progrès jour après jour des études et des articles sur le thème, qui permettent d’identifier des sous-groupes de population plus vulnérables au développement de formes sévères du COVID-19;

 • Considérant qu’il existe des patients sous traitement de la lèpre qui répondent à ces mêmes critères et, par conséquent, nécessitent plus d’attention, en particulier le nombre important de patients âgés atteints de lèpre,

 La Société brésilienne de la maladie de Hansen clarifie et recommande que :

1. Certains facteurs de risque de développement de la forme grave d’infection au COVID-19 (syndrome de détresse respiratoire aiguë), ont été identifiés. Parmi eux, l’âge du patient et les comorbidités telles que le diabète sucré et l’hypertension artérielle systémique (1), ce dernier surtout chez les patients qui sont traités à l’aide d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (2) (note de la rédaction: ce dernier point est controversé). De plus, les patients présentant d’autres altérations biologiques, telles que la neutrophilie et des niveaux élevés de lactate déshydrogénase (LDH),  ont également montré un risque plus élevé de développer des formes sévères de COVID-19 (3).

 2. Les patients atteints de lèpre BB, BL ou LL peuvent avoir des niveaux élevés de LDH et peuvent développer une neutrophilie sur une réaction de type 2, un érythème noueux lépreux (4,5). Par conséquent, il faut leur conseiller de redoubler les mesures de précaution concernant la possibilité d’infection par COVID19. Ces précautions sont les mêmes que celles destinées à la population générale, y compris l’isolement en raison de la pandémie elle-même (et non du fait de la lèpre), sauf indication contraire.

 3. Pour les patients sous traitement de la lèpre utilisant uniquement des antibiotiques de la PCT, les directives de prévention du COVID-19 sont les mêmes que pour la population générale. Il n’y a pas de changement à prévoir concernant le traitement de la lèpre, qui devrait normalement être maintenu. Les programmes nationaux et les centres de traitement santé devraient évaluer les possibilités de fournir la PCT et les médicaments contre les réactions pendant plus d’un mois, en évitant les retours mensuels de patients bien stabilisés. Cependant, pour la faisabilité de cette recommandation, l’articulation avec le coordinateur National et le ministère de la Santé est indispensable, afin de mettre à disposition une quantité supplémentaire de médicaments, afin d’éviter toute pénurie.

 4. Pour les personnes affectées par la lèpre qui suivent un traitement pour des réactions(réaction d’inversion, érythème noueux lépreux, névrite), pour lesquels des médicaments pouvant conduire à une immunosuppression sont utilisés (voir figure 1 sur les critères d’immunosuppression), il convient de considérer que la prednisone est immunosuppressive à partir de la dose  > ou = à 10 mg par jour, ou d’une dose cumulée totale  > ou = à 700 mg. Par conséquent, étant donné que la plupart des patients atteints de réactions lépreuses nécessitent de longues périodes de traitement avec des doses variables de prednisone, ils doivent être considérés comme immunodéprimés et, par conséquent, plus vulnérables à toute infection, dont le coronavirus (6).

5. Les études publiées jusqu’à présent, dont une sur plus de 1.000 cas d’infection à COVID-19, n’ont pas détecté de patients coinfectés par la lèpre dans les formes graves de la maladie. Il n’y a toujours pas de données spécifiques sur COVID-19 chez les patients atteints de maladies auto-immunes ou d’immunosuppression. Cependant, une plus grande attention devrait être assuréepour ces patients (3,10,11).

 6. Les personnes affectées par la lèpre  peuvent présenter des lésions hépatiques, soit en raison de la maladie elle-même, soit de l’action des médicaments utilisés dans son traitement. Les patients atteints de la forme sévère de COVID-19 développent également de graves lésions hépatiques. Ainsi, l’attention doit également être renforcée en cas d’infection concomitante (12).

 7. Les situations spéciales, telles que la coinfection de la lèpre avec la tuberculose ou le VIH, ainsi que lèpre et la grossesse en cas de superposition présumée de COVID-19, devraient être analysées attentivement, car les conséquences sont imprévisibles et peuvent se révéler graves.

 8. En ce qui concerne les consultations externes pendant la pandémie de COVID-19, la Société brésilienne de la maladie de Hansen recommande que les consultations soient réduites au minimum nécessaire, visant à protéger en particulier les patients ayant des réactions qui ont toujours besoin de soins spécialisés. Le service et les professionnels de santé doivent suivre les directives du ministère de la Santé, avec l’utilisation d’équipements de protection individuelle (EPI), tels que des masques, le lavage des mains à l’eau et au savon, les frictions au gel hydroalcoolique pour l’asepsie des mains. il faut aussi désinfecter les surfaces du mobilier des services de soins.

9. Les réactions sont des événements aigus qui nécessitent des soins spécialisés et en aucun cas la fourniture de soins médicaux ne doit être interrompue chez ces patients, qui peuvent avoir besoin d’assistance et aboutiront à la recherche de services d’urgence malgré la pandémie du COVID-19.

Société brésilienne de la maladie de Hansen, Brésil, 19 mars 2020

 Figure 1.  Critères  d'immunosuppression  

 1. Neutropénie - diminution du nombre total de neutrophiles.
 2. Tumeurs hématologiques, avec ou sans chimiothérapie.  
 3. Infection par le VIH  avec des cellules de numération des CD4 <200 / mm3. 
 4. Troubles spléniques (troubles anatomiques ou fonctionnels). 
 5. Patients transplantés  sous traitement immunosuppresseur.
 6. Traitement antinéoplasique au cours des 30 derniers jours. 
 7. Patient sous corticostéroïdes: prednisone, dexaméthasone, hydrocortisone et autres.  
 8. Patient traité avec tout autre médicament immunosuppresseur. 
 9. Patients atteints de  maladies auto-immunes. 
10. Patients présentant des immunodéficiences congénitales. 
Références bibliographiques

1. Wu C, Chen X, Cai Y,Xia J, Zhou X, Xu S et al. Facteurs de risque associés au syndrome de détresse respiratoire aiguë et à la mort chez les patients atteints de pneumonie à coronavirus 2019 à Wuhan, en Chine.JAMA Médecine interne. 2020. 
2. Fang L, Karakiulakis G Roth M. Les patients souffrant d'hypertension et de diabète sucré présentent-ils un risque accru d'infection au COVID-19? La médecine respiratoire Lancet. 2020. 
3. Zhou F, Yu T, Du R, Fan G, Liu Y, Liu Z, et al. Évolution clinique et facteurs de risque de mortalité des patients hospitalisés adultes atteints de COVID-19 à Wuhan, en Chine:une étude de cohorte rétrospective. Lancet (Londres, Angleterre). 2020.
4. Agarwal DP, Srivastava LM, Goedde HW, Rohde R. Etudes biochimiques, immunologiques et génétiques dans la lèpre.I. Changements dans les isoenzymes de lactate déshydrogénase sérique,l'activité de la créatine phosphokinase et de l'aldolase dans différentes formes de lèpre. Tropenmedizin und Parasitologie. 1975; 26 (2):207-11. 
5. Carneiro S, Nakasato FK, Balassiano V, Torres F, par Noronha Neta MI, Gomes MK, et al. Réaction lépromateuse de type II: aspects cliniques et de laboratoire. Skinmed. 2019; 17 (4):261-5.
6. Stuck AE, Minder CE, Frey FJ. Risque de complications infectieuses chez les patients prenant des glucocorticostéroïdes. Rev Infect Dis. 1989; 11 (6): 954–963. 
7. Majumder S, Sreedhara SR, Banerjee S, Chatterjee S. La signalisation TNF alpha contemple la saga thalidomide : une revue du rôle mécaniste de la signalisation TNF-alpha sous thalidomide. Thèmes actuels en chimie médicinale.2012; 12 (13): 1456-67. 
8. Mankikian J, Lioger B, Diot E, D'Halluin P, Lissandre S, Marchand Adam S, et al. Toxicité pulmonaire associée à l'utilisation du lénalidomide: rapport de cas de syndrome de détresse respiratoire aiguë d'apparition tardive et revue de la littérature.Coeur et poumon: le journal des soins intensifs. 2014;43 (2): 120-3.
9. Thornburg A, Abonour R, Smith P, Knox K, Twigg HL, 3e. Syndrome de type pneumonie d'hypersensibilité associé à l'utilisation du lénalidomide. Poitrine. 2007; 131 (5): 1572-4. 
10. Guan WJ, Ni ZY, Hu Y, Liang WH ou CQ, He JX, et al. Caractéristiques cliniques de la maladie à coronavirus 2019 en Chine. 
New England Journal of Medicine. 2020; 10.1056 / NEJMoa2002032. doi: 10.1056/NEJMoa2002032 
11. Huang C, Wang Y, Li X,Ren L, Zhao J, Hu Y, et al. Caractéristiques cliniques des patients infectés par le nouveau coronavirus 2019 à Wuhan, en Chine. (Londres, Angleterre).2020; 395 (10223): 497-506. 
12. Xu L, Liu J, Lu M,Yang D, Zheng X. Lésion hépatique lors d'infections à coronavirus humain hautement pathogènes [publié en ligne avant l'impression, 14 mars 2020]. Liver Int.2020; 10.1111 / liv.14435. doi: 10.1111 / liv.14435. 

Auteur/autrice : Antoine Mahé

Rédacteur en chef du Bulletin de l'association des léprologues de langue française (BALLF)